Ces cas de créations théâtrales faisant le choix de s’adresser aux jeunes sans les aîné·es sont assez rares. Citons le Buchettino (Petit Poucet) de Chiara Guidi, qui tourne depuis trente ans, ou Babarman de la compagnie du Zerep – auquel assistaient les enfants, tandis que les adultes voyaient Mon cirque pour un royaume. Il y a, en tous les cas, toujours quelque chose d’intrigant, voire d’un brin impertinent, à imaginer une équipe artistique nous interdisant l’accès à « nous ». Nous, adultes, qui prenons la décision des sorties culturelles et qui considérons souvent une telle activité comme se devant d’être édifiante et éducative. Proposer de tels spectacles revient donc autant à offrir aux enfants une échappée imaginaire libérés de leurs référents qu’à déjouer les éventuels jugements d’autorité d’un public pas directement concerné.
C’est ce choix d’écarter les adultes qui nourrit la forme de La Ville du chat obstiné. Dans cette création qui a vu le jour en 2021 – et à laquelle exceptionnellement il nous a été possible d’assister (à la condition de ne pas moufter) –, la compagnie blÖffique imagine un spectacle itinérant pour un groupe d’enfants âgés de sept à onze ans. Dans La Ville du chat obstiné, il y a trois personnages : une jeune femme, un jeune homme et leur comparse, Mitsou le chat. Mitsou, nous ne le verrons pas, mais nous découvrirons ce que lui voit. Et, sous la forme d’une pérégrination entre intérieur et extérieur, invitant à regarder la ville et ses alentours à hauteur de félin, la création initie une sorte de ludique exercice d’observation et d’imagination collective.
Le spectacle débute en intérieur où, accueilli par la jeune femme – toujours attentive à chaque enfant –, le public écoute cette dernière détailler leur projet. Avec Mitsou, le duo parcourt les villes de France et de Navarre, travaillant à l’élaboration du « premier atlas mondial des villes de chats ». Images vues de satellite sur un grand écran à l’appui, vidéos filmées par Mitsou se déplaçant à l’aide d’une GoPro, la jeune femme, bientôt rejointe par son comparse, explique avec un entrain constant toutes les étapes de leur projet, ainsi que les prémisses de la cartographie de Montreuil sur laquelle iels travaillent. Mais la réalisation de cet ambitieux programme ne va pas sans quelques imprévus. C’est ainsi un étonnant aléa qui amène le trio à solliciter l’aide des enfants réunis. À partir de cette introduction se déplie tout un cheminement physique, imaginaire et oral.
Embarquant tout le monde dans une visite par le menu des alentours, La Ville du chat obstiné prend les allures d’une investigation sollicitant en permanence l’attention, le regard et l’inventivité des enfants. Entre conte fantaisiste faisant feu de tout bois – et se saisissant avec esprit de tout l’environnement – et enquête absurde enchaînant un brin les coq-à-l’âne, la création bascule d’une situation à l’autre. Si sa dramaturgie peut sembler abrupte, étrange par ses enchaînements, elle correspond également joliment à la façon dont les enfants jouent, soit en pouvant passer sans transition d’un jeu à l’autre, d’une idée ou d’un imaginaire à un autre juste à partir d’un mot ou d’une situation. Cette écriture qui joue des culbutes – et dont l’interprétation est un brin trop volontariste dans son enjouement (le jeu gagnerait en effet à assumer un peu plus de complexité) – trouve sa force dans l’invitation régulière à la participation des enfants. À travers leurs quêtes, mais aussi leurs remarques, leurs idées, leurs hypothèses, c’est une histoire joyeuse, touffue et qu’on imagine à chaque fois en partie renouvelée que le spectacle déplie. Et c’est également, outre cette écriture partagée, une plaisante invitation à se méfier de l’anthropocentrisme, en se rapprochant du plus libre de nos animaux familiers.